L’antisémitisme est la « Maladie » Claude Raphaël Samama




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L’antisémitisme est la « Maladie »

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Claude-Raphaël Samama

L’antisémitisme est la « Maladie »

À nouveau Lui, l'anathème, l'accusation, la haine sans nuance, le permanent, le récurrent, le séculaire ressentiment, l'égorgement rêvé si possible sans remords et cette issue qui peut tout achever, et rime ou non avec le précédent vocable, la mort douce du « bon débarras ! » ou celle qui regroupe les victimes, les stigmatise, les amalgame, les met à part à jamais et aurait ainsi purifié le monde ! En éliminant qui ? En exorcisant quoi ? Telles seraient, après l'énoncé cruel d'un constat, les vraies questions.

La charade macabre qu'on vient de formuler renverrait à une réalité aisément déchiffrable et hélas, de plus en plus répandue, dans une France à la mémoire courte. Celui qui voudra bien en examiner les termes aura deviné de quoi il retourne, n'hésitera pas longtemps sur ce qui est décrit là et ce que l'ignominie recouvre, semblable à nulle autre, quoiqu'on en dise. La seconde interrogation serait quant à elle plus difficile à aborder s'il s'agit des causes, des motifs circonstanciés qui semblent mettre d'accord – dans ce procès interminable et funeste – les plaideurs, les procureurs et un public avide d'inquisition, friand des verdicts sans appel rappelés ci-avant.

Ce que Nietzsche appelait « la maladie » est-elle de retour ? Pas seulement le prodrome d'un mal bénin à venir, d'un symptôme facile à éradiquer, finalement relatif et sans majeure conséquence, mais ce mal extrême – cette « infection », autre terme nietzschéen pour désigner la même chose – qui peut non seulement faire mal, mais ronger, s'amplifier jusqu'à empoisonner et détruire tout autour de lui, en s'approchant à pas feutrés ou lourds.

Le véritable cancer historique, social, politique, idéologique et, à son œuvre terminale dans les formes de la mort génocidaire – cela est plus que vérifiable, en dépit de toute réfutation –, est l'antisémitisme. En dépit de chuchotements pervers, de rumeurs ou d'éructations déclarées ou clandestines, de trajectoires endémiques et un jour millionnaire en victimes innocentes, de relents toujours pestilentiels, ce vice chronique qu'est la haine des juifs n'aurait pas vraiment disparu. Il rôderait encore parmi nous telle la menace d'un fantôme prêt à tout pour faire entendre sa voix.

Devant la catastrophe d'une résurrection de ce que l'on pouvait croire révolu, de l'imminence à nouveau d'une forme de peste, une médecine par l'Histoire et le rappel de ses tragiques péripéties, une ordonnance par la voie de la raison – souveraine et légitime thérapeutique – doivent se mobiliser. Il faut ici examiner d'abord, alerter, prévenir, soigner dans le calme et avec précision – évidemment sans haine en retour vis-à-vis de qui refuse de guérir –, intervenir ensuite, sans concession quant au diagnostic et à l'administration des remèdes.

L'antisémitisme est une maladie et rien ne peut justifier l'inoculation délibérée ou non de son virus. On ne peut non plus la laisser prospérer sur le dos des peuples ou dans les lieux nauséabonds où l'esprit se corrompt. Car il s'agit bien, pour cela-même et ce qui l'accompagne, d'une maladie – pas seulement honteuse ou grave – mais qui à terme peut faire mourir. Sauf, qu'à la différence d'autres maux cruels, elle peut non pas seulement tuer sa victime, mais aussi le bourreau – son porteur ! De bien des façons, apparentes ou non. En prendre pour preuve les leçons de l'histoire longue.

Tous les reproches, les accusations, les procès faits à des juifs – à certains, beaucoup ou tous – ont appris à fourbir leurs arguments pour les bénéfices escomptés d'un calcul. Les registres en sont multiples, des théologies, païenne, chrétienne, musulmane au procès en économie malsaine ou à l'exploitation des pires démagogies. Qu'on lise, pour s'en convaincre, les grands textes symboliques, d'où émerge la « négation » paradoxale d'une dette évidente à l'égard des inventeurs du « Père » – cet indépassable « Grand-Autre », à jamais. Qu'on reprenne l'antienne du pouvoir de l'argent thésaurisé, qui prospère, trompe ou affame, honnêtement gagné ou par des habiletés inavouables. Qu'on construise, dans le pire des fantasmes paranoïaques, le scénario de la conspiration universelle et du projet d'une maîtrise envisagée du monde..!

Devant l'analyse objective, renseignée et sans prévention, rien de tout cela ne tient. Tel individu répréhensible, par exemple et récemment un Madoff, appartenant de près ou de loin au « peuple juif », ne renvoie qu'à sa propre personne. De la même manière, un Marx, un Trotski, une Rosa Luxembourg, un Disraeli un Léon Blum, un Michel Debré ou une Simone Veil, chacun selon une orientation différente, ne représentent qu'eux-mêmes ou le service d'un idéal non identitaire. Cent autres pourraient être cités et tout autrement, glorieux ou moins.

Les individus « juifs » ne forment pas peuple, ni un groupe collectif organisé à ce titre, ni un consortium d'intérêts mutualisés. L'éventail historique irait du guerrier historien palestino-romain Flavius Josèphe ou du savant Rachi – grand érudit champenois du Moyen âge de la France – au mage Nostradamus tout illuminé un peu plus tard en Provence. Il s'enrichirait des pensées du sublime Spinoza ou du génial Bergson, parlant tous deux seulement de l'Homme générique et « nu », pour reprendre le terme de Claude Lévi-Strauss. Citera-t-on encore, dans une tout autre sphère, non pour rire mais pour démontrer, en Amérique, un Kirk Douglas séduisant ou… un Woody Allen, bien plus drôle. Doit-on encore, en France s'il faut insister, présenter un Rothschild dignement milliardaire, un Mendes France symbole universel d'équité ou un Krasucki, prolétaire et résistant ? Et que dire de tant d'œuvres contributives à la civilisation universelle, de Freud, Einstein ou Kafka, de Maïmonide, Heine ou les Mendelssohn à Menuhin, Schönberg ou Bernstein Léonard ou Gershwin George et ne demandant rien pour eux-mêmes, cent autres prix Nobels, au service de l'humanité en progrès ?

Certains seraient dans la hargne, l'ambivalence, l'étonnement parfois insupportable face à ce qui leur échappe, dans une jalousie trouble devant tant de succès et de misère aussi. Là, où il y aurait lieu de procéder à l'examen des faits ou des personnes sans jamais de généralisation, s'en tenir au jugement objectif, est mobilisée l'obsession d'une paradoxale hantise. De qui ? De quoi, finalement ?

Sans interdire toute critique, toute caricature, tout humour – dont d'ailleurs les juifs eux-mêmes ne se privent pas – il faudrait que jamais, l'exercice n'excède ce qui se pratique pour d'autres groupes humains. Il ne s'agirait pas non plus d'un quitus à donner aux uns et pas aux autres, ni non plus d'un plébiscite à la valeur qu'aucun juif ne demande, lequel voterait même plutôt pour plus de discrétion – médiatique ou autre – à son égard !

Ce qu'on peut appeler « l'instrumentalisation des juifs » – ce « peuple-monde » dont le statut à la fois national en Israël et diasporique dans plusieurs autres pays ajoute l'ubiquité à sa perception faussée – se soutient de tout cela et avance à l'aveugle entre l'individuel et le collectif, la déformation du réel et un certain nombre de projections. Des constructions fantasmatiques inventées, délirantes ou propres à satisfaire des jalousies, des concurrences, alimentent ce « ressentiment » dont Nietzsche – encore lui – avait aperçu la fonction pathogène comme matrice de la médiocrité et la même comme fond du nihilisme, autre symptôme du délitement des sociétés autour du vide.

L'antisémitisme, sous tous ses aspects, est cette maladie où tant l'Allemagne, la Russie soviétique, plusieurs pays de l'est de l'Europe qu'une certaine France, se sont égarés, en en faisant la clef inventée d'une histoire faussée qui voudrait durer encore ! L'Europe actuelle, construite sur les cendres du grand holocauste de ses juifs, ferait bien d'avoir en vue cette part de sa fondation, au lieu qu'elle se déchire maintenant autour des « rivalités de mémoire » et de symboliques compensations vis-à-vis de ses anciens assujettis qu'elle a toutefois fait pleinement entrer dans l'histoire et son progrès, quoiqu'ils en disent. Cela n'est pas assez rappelé.

Au nom d'un droit formel, de fausses compassions, de la politique supposée « correcte », voilà le passé du continent travesti, ravalé à ses relatifs manquements. L'émergence d'une mutation multi-culturaliste qui veut tout aplatir tenterait de dévoyer un essentiel et ravaler un patrimoine où les juifs devraient à nouveau être des boucs-émissaires. Peut-on rappeler ici que les mêmes ont toujours choisi d'abord leur citoyenneté et une fidélité à leur nation qui n'a jamais eu à souffrir d'une quelconque double allégeance ou de trahison à leur patrie séculaire d'adoption. Ils seraient ici plutôt exemplaires.

Que tous les apprentis-sorciers – d'où qu'ils viennent – qui voudraient allumer la torche anti-juive aux feux de l'enfer commencent d'abord par reprendre la chandelle de l'Histoire sur le chemin torturé et obscur de celle-ci, où tous – et pas seulement les treize millions à peine, de juifs du monde – sont concernés. Importe ici un destin général qui ne tient sa richesse que de différences acceptées et comprises, non d'un homogène où triomphe l'abstraction d'une humanité neutre, robotisée, aplanie, ou en guerre à nouveau contre elle-même, car l'antisémitisme, pour tous quoiqu'ils en pensent, est bien peut-être la pire des maladies.


Claude-Raphaël SAMAMA, est le directeur éditorial de la revue L'Art du Comprendre et l'auteur de Réflexions nouvelles sur des questions juives, Maisonneuve et Larose, 2007