Littérature
Around circles. Autour des cercles
Livres
Littérature
1998
Claude-Raphaël Samama
Éditions Caractères, Paris
N° ISBN : 2-85446-270-X - 9782854462708
Édition bilingue
Le premier des poèmes qu'on va lire en anglais, vint à moi y a environ vingt ans, au bord d'une plage du Nord, en un de ces moments de l'existence où tout semble s'arrêter, être remis en cause, atteindre une limite, pressentir une mutation. C'est déjà avancer là que le mouvement d'écrire ne se détache jamais d'une matière et de quelque métamorphose, fût-elle heureuse ou non !
L'usage de la langue naturelle de Keats, de Wordsworth - à qui deux des textes sont liés, celle d'Auden, de Pound ou par emprunt, de Nabokov ou du dernier Brodsky, a surgi maladroit d'abord, puis plus assuré. La survenue en apparence aléatoire du phénomène, traduisit pour moi quelque chose comme le passage à une autre scène, un changement dans ce jeu d'amener à la clarté des parcelles d'obscur et le plaisir dès lors procuré, une sorte de retournement, de contrepoint aussi à la lassitude du séjour en ma langue native, identitaire et intime.
S'est-il agi d'abord de traîtrise, et allant avec cette dernière, comme d'une vengeance, qui certes ne dura pas, puisque les traductions plus tardives ont rétabli l'équilibre et l'identité de chacune des deux langues en une circularité qui donne aussi son titre à ce recueil ?
Le mouvement d'écrire doit puiser à quelque forte énergie ! Les blessures sont aussi à la source des paroles les plus proches de nous-mêmes.
L'auteur n'est ni bilingue, ni angliciste et n'a séjourné au coeur d'Albion que le temps de quelques affaires où la linguistique était à des lieux et la littérature très lointaine.
Ces dix huit poésies, brèves ou plus longuement élaborées, écrites directement en langue anglaise avec parfois l'aide délibérément limitée du dictionnaire et quelque lecture appréciative par des personnes plus proches de la sémantique anglaise, apparaîtront dans la singularité de leur invention, sans que celle-ci doive se parer d'un quelconque caractère performatif.
Cet ouvrage, vocable qu'on aimerait accepter du côté du travail aux multiples clefs qui a composé sa partition plutôt que comme un autre livre aux mots ordonnés et enterrés en leur genre, se veut donc du côté d'une expérience vivante, d'une aventure de la sensibilité pensante et aussi d'un parcours.
L'esprit est inséparable des mots qui l'expriment comme le corps ne se conçoit pas sans âme et réciproquement. La langue pourrait être la tonalité du voyage.
Offertes dans le double registre d'univers sensibles et spirituels différents, porteurs chacune de résonances, de retentissement propre, mais aussi de leur propre modulation, ces Anglaises, se voudraient un peu des pièces de musique, avec exposé thématique, voix et répons - harmoniques - comme dans ces suites musicales orchestrées sous la double contrainte des règles techniques et de l'émotion que suscite parfois la tonalité.
Quel art n'aurait pas ses règles strictes et son exigence camouflée de rigueur ? La surprise, le goût, sont après et l'alchimie secrète qui y a présidé, s'ils y sont.
Les livres les plus proches parfois restent anonymes et sont pour qui les lit appropriés en une parole vivante. Pourrait ici leur faire écho - dans tel contexte poïétique et donc musical - une audition où dans l'intervalle se perde la distance entre l'exécution et son accueil, la partition et son écoute…
La littérature souffre aujourd'hui des propositions trop narratives de la création et de l 'étroitesse des luttes pour un paraître au détriment des appels pour l'ailleurs ou tel risque à l'expression pure...
Le dépaysement exceptionnel que procurent la pratique, le rythme, la pensée et peut-être le goût d'une autre langue, sa logique, son ton, relèvent du voyage. L'anglo-saxon de Shakespeare (ou celui du jazz), leur registre phonique et sémantique forment un exceptionnel territoire, parfois proche du franco-normand, avec une morphologie langagière très profiteuse - cela est insuffisamment perçu -, ingrate mais si créative... On en jugera à partir de la mise en miroir des deux registres, de leurs connivences, des contrastes, des transferts inattendus du sens entre eux.
Les poésies qu'on va lire tentent de faire circuler quelque chose que seul le lecteur attentif et actif donc, pourra percevoir et découvrir. Il n'y a ainsi nul étonnement à avoir, ni un quelconque exploit à considérer eu égard aux moyens et à la compétence du compositeur. Une expérience intime a généré ce dont le partage et l'interprétation sont ici proposés. Qu'on en juge et que peut-être soient appréciés, pas seulement l'exercice ou on ne sait quelle virtuosité, mais l'objet littéraire ainsi livré, du fond bien évidemment d'une esthétique et de l'expérience éprouvée d'un for intérieur et de ses plus intimes pérégrinations.
L'ambition serait peut-être trop grande d'avancer aussi que ce recueil est celui d'un climat avec ses paysages, reliefs, atmosphères à découvrir, sans forcément d'allégeance au genre et, en aucune manière, en dépit des apparences, qu'il en aille d'une quelconque égologie. On imagine mal à quel point, d'une langue à l'autre, la dimension subjective se réduit, mais prend combien aussi une belle assurance celui qui compose, de circuler ainsi entre deux libertés.
Il y passe des courants, de secrets influx, des réminiscences, certaines notes propres à marquer le mouvement intérieur ou des sensations dans la langue, un toucher si l'on peut dire, pressenti intérieurement ou projeté - incontestablement quelque chose de sensible.
Parfois ont été retrouvés les échos si spirituels finalement du jazz, qui plaident pour les côtés inventifs, libérateurs, dynamiques du métissage - ici linguistique, sans qu'aucun des deux alliés y perdent son âme, ou son identité. Un texte appelle cela des " Mondes ".
Peut-on dire que, en un souhait inavoué, écrire ainsi porterait à élargir le cercle des mots à de plus vastes tribus, en un temps d'homogène et d'amalgame. On tente d'exorciser cette insupportable perspective dans " Drama ".
Si les langues où nous habitons sont bien cette matière sonore, volatile et si dense quand elles vont au poème - son domaine fluide et étendu-, leur exploration peut, sans livrer pour autant de carte, donner à voir, faire entendre, rêver de nouveaux archipels ou plus modestement telle île où la parole qu'on y parle, vaut pour un idiome de passage, ailé, voyageur, naufragé parfois, mais toujours libre, accueillant, messager...
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