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Le développement économique entre idéologie et culturalités. Essai d'archéologie et de prospective éco-culturales
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1998
Soutenance de thèse - Université Paris X (30/04/1998)
Le développement économique entre idéologie et culturalités. Essai d'archéologie et de prospective éco-culturales
I. Présentation d'ensemble
Pourquoi fait-on des thèses ?
Il y a certes les filières, les cursus, le goût de la recherche, certainement les carrières, et bien sûr l'Institution.
Je voudrais introduire ici d'autres facteurs qui peuvent expliquer l'ambition ou même la singularité de certaines recherches qui en réalité, finissent, par ouvrir des chemins ou éclairer mieux encore ceux qui déjà existent..
Je pense par exemple, et toutes proportions gardées avec notre travail qui n'en a ni la portée ni sans doute le génie, aux thèses d'un F.Braudel avec sa " Méditerranée à l'époque de Philippe II " ou à celle de M.Foucault dans son " Histoire de la Folie à l'âge classique ", ou encore aux célèbres " Données immédiates de la conscience " d'un Bergson, auteur travaillé par moi sous la direction de V.Jankelévitch à la fin de ces années 70 où l'utopie d'un avenir différent s'était profilé.
Ces thèse, ou d'autres, sont faites à la fois d'analyse, d'érudition mais plus encore peut-être de l'intuition d'une idée forte, parfois unique mais essentielle, ou d'une vision d'ensemble qui se propose de contribuer au renouvellement d'une question ou aux avancées d'une discipline. Ce sont là les ingrédients, et certainement à chaque fois, en proportions diverses, leur réussite.
Aux précédentes motivations, il faut ajouter les avantages de la rigueur à observer, et certainement le cadre ordonné des règles et des exigences de la recherche.
J'ai trouvé dans cette université, à la fois par les hasards de la carrière qui m'en ont rapproché et à côté des motivations précédentes, celle d'un environnement peut-être plus libre qu'ailleurs, et sans doute l'accomplissement d'une tâche intellectuelle comme un peu prédestinée.
Ma propre recherche s'origine encore à deux facteurs complémentaires qui rejoignent sa nature et son mûrissement.
D'abord une formation universitaire polyvalente qui m' a fait parcourir le champ de la philosophie, en Sorbonne pendant six années jusqu'à l'agrégation, celui de la psychologie clinique et sociale à Paris 7 où j'obtins une licence et une maîtrise, un cursus ultérieur de DEA en théorie des Organisations à Paris 9.
Dauphine où un de mes deux mémoires majeurs avait pour intitulé : " L'idéologie : moteur ou frein du développement économique " et a reçu plus que l'aval de Mr. Hu Chen Ngao.
Puis-je ajouter que tout au long de mes années d'activités professionnelles multiples et de mes engagements au dehors, je n'ai cessé en parallèle avec l'étude, la recherche, et l'écriture aussi, obéissant là peut-être à une forme de vocation - dans le sens webérien qui sera développé tout à l'heure.
Sans doute aussi ce siècle dramatique qui va bientôt s 'achever, où les génocides voisinent avec les guerres, qui a vu l'impérialisme, la décolonisation et aujourd'hui l'entropie de la mondialisation avec une perte conséquente de tant de richesses culturelles et de symbolicité, appelle-t-il des pensées critiques, déconstructives, questionnantes et imaginatives qui doivent renouveler les approches.
L'anthropologie culturale et son versant historique constitue sans doute la discipline ou plutôt comme on verra la visée intellectuelle mais aussi éthique que j'ai toujours eu en vue dans ma réflexion, mes voyages - tout particulièrement en Asie du Sud Est, en Inde, en Iran ou en Afrique du Nord - ou dans d'autres recherches plus personnelles, en matière d'identité juive à la fois une et multiple comme on sait.
J'ai ainsi dans ce travail les disciplines, mais sans jamais perdre de vue l'unité d'un projet. Celui-ci a consisté à traiter d'un sujet au carrefour d'une dialectique essentielle mais finalement assez peu considérée en ses enjeux et sa profondeur, celle des liens organiques entre culture et économie.
L'étude du développement économique sous cet angle recoupe par ailleurs pour moi outre un itinéraire, une observation critique du monde de l'économie, de ses enjeux, de ses progrès, et de ses crises aujourd'hui, mais surtout le fait que l'économie joue de plus en plus le rôle d'un " discours-maître " auquel tous les autres devraient être assujettis.
La liberté du savoir et celle de la science voudraient discuter une telle hégémonie qui ne correspond ni au devenir souhaitable du monde en voie hélas d'homogénéisation ni a fortiori à la vérité bien plus complexe.
C'est ainsi que la pensée critique que j'ai développée en essayant de l'étayer, cherche ce rééquilibrage des savoirs vis à vis d'une science ( ou d'un discours) dont dépend le devenir humain, mais aussi la remise à sa place de l'acteur du savoir et de ses praxis sous-jacentes.
Une conception non dogmatique du savoir économique ne peut laisser aujourd'hui au dehors tant la genèse et la diversité de sa constitution que la question de sa forme, de ses enjeux et de ses finalités actuelles (souvent abstraites, paradoxalement dématérialisées, mondialisées et égoïstes) dont paradoxalement l'homme, parfois purement et simplement instrumentalisé, est de plus en plus exclu, comme personne et entité symbolique.
II. Le plan
La thèse est construite autour d'une progression en quatre moments qui chacun, tente de faire ressortir l'élément surdéterminant, de culturalité ou d'idéologie et parfois leur brassage, entrant en jeu dans la genèse du développement économique, son état présent et différencié, et son devenir.
- La 1ère partie présente les paradigmes idéologiques qui soutiennent depuis la fin du 18 ème siècle le développement économique techno-capitaliste, qu'il soit d'inspiration libéral et technocratique ou dirigiste et autoritaire. Saint-Simon et sa postérité d'un côté, Marx de l'autre. Le modèle occidental dans on essence identique y fait prévaloir la techno-science, la non limitation, le calcul rationnel et l'hégémonie d'un sur les autres.
- La 2ème partie étudie les théories culturalistes du développement dont Max Weber avait ouvert la voie. A l'émergence du capitalisme européen lié à la Réforme luthéro-calviniste et à ses effets, nous avons opposé l'émergence des capitalismes asiatiques et l'influence de leur corpus symbolique différents entre indianité, bouddhisme et confucéisme.
- La 3ème partie concerne l'Inde, la Chine et le Japon et essaye de vérifier les hypothèses envisagées dans les deux parties précédentes où elles convergent particulièrement.
La remise en cause du modèle webérien et l'efficace propre de corpus symboliques non-judéo-chrétiens y voisinent pour la Chine avec l'idéologie communiste, au Japon avec le métissage occidental, en Inde avec les séquelles fortes du colonialisme européen. Le concept de culturalité trouve là des points d'appui forts et constitue un facteur à part entière, dans les différentes dialectiques qu'ils entretient, comme moteur ou frein de développement.
- La dernière partie enfin est un essai d'élaboration d'un modèle à plusieurs variantes selon l'axe des spécificités civilisationnelles et culturales, en synergie ou en confrontation avec le paradigme occidental. L'approche anthropologique, dont aujourd'hui le discours écologique, environnemental et aussi les réalités géopolitiques rappelle la pertinence, est mise en avant comme perspective unifiante, seule à même de produire des dialogues et d'éviter des affrontements ou préserver d'une dérive vers une homogénéité appauvrissante ou agonistique.
III. Le projet et l'enjeu de la recherche
Je vais maintenant essayer, en termes plus techniques, de faire la synthèse de mon travail en termes de méthode et d'enjeux.
- Le projet a consisté à opérer un décloisonnement disciplinaire, en croisant des niveaux de réalité en général séparés (ou opposés) ou placés dans un lien univoque de déterminations ( des conditions matérielles vers les superstructures, comme l' enseigne le matérialisme historique).
- Il s'est agi de pratiquer une conception holistique de l'économie aujourd'hui parcélisée.
Les travaux d'économie les plus courants ne traitent que de variables limitées, de facteurs liés ou indépendants, en perdant de vue contexte, environnement global et systèmes.
Les théories et modèles économiques contemporains - du marché ou de l'équilibre général, de la rationalité standard ou limitée, de la régulation, ou de la théorie des jeux, laissent de côté des pans entiers du réel où ils baignent eux -mêmes et dont ils sont supposés rendre compte.
Imaginaire, symbolique et réalité, au même titre que dans la sphère psychique (ou de l'inconscient collectif), pourraient bien y avoir leur mot à dire.
C'est l'objet d'un des chapitres de la dernière partie.
- J'ai ensuite tenté d'effectuer un travail d'élucidation appelé " archéologique ", au sens de M.Foucault, sur l'axe de la genèse historique des processus de croissance/développement, et sur celui aussi plus structural (ou systémique) de la situation contemporaine.
Les deux polarités retenues soit Saint-Simon/Comte et Marx font converger paradoxalement vers une idéologie industrielle et productiviste du développement sans frein dont l'héritage se prolonge encore aujourd'hui.
La situation contemporaine a la mémoire courte, qui n'intègre pas les données mutationnelles récentes - dont celle de la décolonisation, des identités nationales, des impasses d'idéologies inadaptées - refoulées par un processus pervers d'homogénéisation...
Des continents entiers l'Afrique, l'Amérique latine mais aussi l'Asie ne peuvent être pensés et compris en dehors de leur histoire qui les voit subir, refuser ou intégrer certains apports de la matrice occidentale.
C'est de leur dialogue ou de leur capacité à s'en émanciper ou transmuter ces apports que se jouent leur avenir et leur développement.
- Je me suis proposé encore de renverser un certain nombre d'évidences reçues quant à la seule prégnance des culturalités occidentales vis à vis du développement économique (c'est la thèse wébérienne..) au moyen, en particulier, du contre-paradigme japonais.
Il aura fallu mettre à jour des causalités non apparentes liées aux corpus symboliques, entendus comme discours de référence identitaire et substance sociale sous-tendant les économies non-occidentales étudiées.
- L'idée de modèles différentiels de développement économique qui s'opposeraient à l'uniformité du concept de croissance économique défini par le seul ratio de la quantité a été avancé en contrepoint.
Le modèle occidental de développement économique fonctionne de façon systémique avec celui du sous-développement, " relativé " toujours à lui. Il fonctionne en déployant une rationalité de l'homogène, du calcul rationnel et de la non-limitation qui n'ont peut-être pas une validité ou une vocation universelles.
- Peut-être sommes-nous parvenus à rétablir le lien distendu, sinon coupé, entre l'économie (science humaine) et une anthropologie (science de l'homme) à repenser.
L'économie est-elle seulement un moyen ?
La couper de fins harmonisées, laissées au seul politique ou aux lois aveugles d'un marché qui a pris la proportion mondiale et où les jeux seraient déjà faits, relève d'une contre-rationalité dont l'histoire des peuples au 20 ème siècle a plus que pâti.
Ce lien doit-être rétabli dans une économie politique intégrant le discours des fins où la symbolique des nations et leur égale dignité ne doivent pas être sacrifiées, car elles sont aussi leurs richesses et parfois leurs moteurs.
IV. Les acquis de la recherche
Au terme de notre travail peut-être pouvons-nous mettre en avant un certain nombre d'acquis.
- Nous avons effectué la remise en cause partielle de la thèse wébérienne du développement du Capitalisme dans la seule aire culturalo-occidentale des pays de Réforme (Royaume-Uni, Hollande, Prusse, Etats-Unis d 'Amérique..).
En effet même si le maintien en tête des pays de culturalité profonde puritaine ou réformée (luthéro-calviniste) en particulier la Suisse, le Nord de l'Europe et les USA..), préserve une partie de la thèse webérienne, la croissance et les réussites économiques des pays d'Extrême-Orient plaident en faveur d'une causalité symbolique différente.
C'est celle des corpus indouistes, bouddhistes, confucéens et shintoïstes et de leur efficace qui ont été étudiés, à travers en particulier, les Textes fondateurs de ces civilisations - ce qui, sous cet angle et à cet source, est peut-être novateur.
- L'étude des corpus symboliques non-occidentaux dans leur relation plus ou moins favorable à la mentalité du développement économique été mise en oeuvre.
Nous avons montré à travers les trois monographies de l'Inde, de la Chine, du Japon que leurs symbolismes traditionnels ou spirituels religieux, qu'il s'agisse de l'Indouisme, du Bouddhisme, du Confucéisme- et de corpus parallèles tels que le Shinto ou le Zen japonais ou le Taoïsme chinois ne pouvaient pas ne pas influencer le système ethique et sociétal des pays étudiés.
Ainsi
* des valeurs d'organisation et de structuration telles que le holisme, à opposer à l'individualisme occidental;
* des valeurs psychologiques liées à la Tradition telles que la place donnée à la hiérarchie, au respect et à la place de la famille, au code de l'honneur ou plus profondément à la symbolique des rituels nous ont paru être des facteurs opératoires;
* des valeurs structurales telle que l'importance donnée aux principes de filiation dont par exemple le culte des ancêres généralisé en Asie ( et plus particulièrement dans l'univers chinois), nous ont paru contextuellement déterminants.
(Ainsi encore...)
* des valeurs éthiques à dominante collective issues de spiritualités que nous avons qualifié de " socio-transcendantales " en tant qu'elles privilégient une représentation immanente des comportements et des destins intra-mondains.
- Il nous semble être allés plus loin :
A partir du moment où le cœur de la machine occidentale du développement économique était celui de la techno-science et de ses réquisits vis à vis d'une conception de la nature sous-jacente et des principes de maîtrise de la matière, il nous est apparu que certaines métaphysiques sur lesquelles reposent les culturalités extrême-orientales étaient peut-être paradoxalement plus proches - ou comme nous avons dit, en synergie- avec les modalités d'un tel discours.
Celui-ci de la science est certes d'abord physico-mathématique mais s'articule à une cohérence qui n'est pas seulement hypothético-déductive mais méta-physique et pourrait-on dire phénoménologiquement spécifiée.
Les conceptions du temps, de l'espace, de l'énergie, les phénomènes de cycle, de transformation, d'évolution, de place de l'homme dans le cosmos, autant que de création ou de transformation prennent selon les culturalités une résonance différente.
Ce type d'affinités n'est pas forcément au désavantage des symbolicités extrêmes-orientales, sur le volet cette fois, d'une assimilation de la techno-science. Regardons du côté de la Corée, de Taiwan, du Japon, de Singapour et de certains de leurs prodiges technologiques...
On ne peut pas ne pas penser par ailleurs que la densité symbolique des culturalités abordées sous cet aspect, ne puisse infléchir une série de valeurs économiques dans le monde, créer une vocation et des pratiques spécifiques d'orientation des contextes économiques en cause.
- Ayant ainsi ouvert cette voie heuristique des mises en relation, des surdéterminations de l'économie par l'ethos cultural, il fallait ensuite produire la série des processus ou des mécanismes en jeu quant à leur efficace.
Prenant appui à la fois sur le précédent wébérien, la théorie freudienne de l'inconscient, l'anthropologie structurale lévi-straussienne, les concepts d'archéologie chez Foucault, d'herméneutique, de " surcode " ou de " phénomène social total " chez Mauss, nous en avons avancé trois principaux :
1) La profondeur historique, critère dont la pertinence caractèriserait la Chine;
2) La densité symbolique, dont l'Inde serait l'exemple type;
3) Le degré de mutabilité, dont le Japon offre une parfaite mise en oeuvre.
Dans l'ordre d'autres processus opératoires, le concept " d'assignation ", ré-élaboré à partir de celui de beruf wébérien, nous a permis de formaliser un processus originaire apparu comme encore plus fondamental.
Toute substance culturale répondant aux critères précédents d'efficacité (ou de simple prégnance) détermine une manière d'être au monde, une position du groupe, de l'individu et de leurs relations mutuelles qui influencent les comportements, les motivations, les choix, le degré de liberté, la marge d'autonomie et les limites (ou non) de l'action concrète.
Plus particulièrement la dialectique entre individu et ensemble social, prend à la lumière de notre concept d'assignation, quand il est par ailleurs rapporté au corpus fondateur des cultures symboliques, une importance essentielle.
Nous avons ici recoupé la pertinence des travaux de L.Dumont en les amplifiant.
Outre les culturalités indouiste, bouddhique et confucéennes, et dans le prolongement de cette méthode, on a essayé de montrer aussi ce qu'il en était de l'Islam où fonctionne pleinement ce concept d'assignation.
L'univers de la catholicité, celui du judaïsme, quant à leurs effets induits en termes d'ethos, de pragmatique sociale, d'axiologie et par voie de conséquences de comportements économiques, ont été aussi abordés, pour conforter le modèle.
Les travaux d'un économiste comme Morio Morishima vont dans un tel sens, nous les avons utilisés.
- Si l'économie est (ou devrait être) un des volets matérialistes d'une anthropologie, cette dernière qui en est (ou devrait être) la source et la fin, ne pourra faire plus longtemps abstraction de ce à quoi elle destine l'homme.
La différencialité culturale ou au contraire sa proximité d'avec celle du modèle de référence occidental prend ici le poids d'un enjeu civilisationnel et politique de taille, comme les travaux récents de S.Huntington " sur le choc des civilisations ", largement cité aussi, le montrent.
- Le phénomène de mimesis, repéré aussi et parfois massif, ne doit pas faire illusion quant aux mécanismes de la réussite économique. L'adhésion substantielle des nations à leur identité et la manière dont elles investissent les enjeux économiques et les processus en cause ne peuvent être occultés et sont autant efficaces. La notion de jeu, plus profonde car ancrée dans une potentialité anthropo-culturale a été ici développée.
Nous avons emprunté ici à Huizinga, Winnicott ou Axelos...
- L'occidentalité, aujourd'hui en voie de mondialisation et de dominance, est apparue aussi comme un des mode d'assignation dont l'individualisme, la célébration de l'homme divinisé, la rationalité érigée en idéal aux côtés de la subjectivité sans limite, ne cessent pas depuis Descartes ou Bacon de proposer et de mettre en oeuvre la domination du monde et de la matière par l'homme.
La réussite technique de ce dernier modèle se heurte à son faible degré de symbolicité, à la crise qu'il ouvre quand il est poussé à ses limites et à laquelle parfois l'Islam, par exemple, lui répond en contrepoint, dans le sursaut de son intégrisme, ou les " mondes-tiers ", comme nous les avons désignés, par leur exclusion ou leur reconquête insidieuse.
La mondialisation, la globalisation, la nouvelle configuration des relations entre les nations ou les aires civilisationnelles sont à l'ordre du jour.
On ne peut plus les penser dans l'abstraction formelle des modèles d'explication unique et vidés de leur substance culturale qui fait qu'ils sont ce qu'ils sont.
L'universalité mise en avant par la maîtrise occidentale se heurte aux effets destructeurs de l'homogénéisation, dont toute la question sera de savoir si elle est nécessaire, contingente ou à repenser selon d'autres critères.
Seule une anthropologie élargie ou, comme dit E.Morin, une anthropolitique devrait être à même au prochain siècle de préserver les équilibres et aspirer comme un idéal à une meilleure harmonie.
Conclusion
L'ampleur de mon sujet était son risque.
La méthode choisie, les voies de la recherche et en particulier le croisement des grilles d'analyses comme celui des niveaux de réalité, la recherche de liaisons non apparentes, d'influences occultées, de ce qu'on pourrait appeler -
pourquoi pas, l'inconscient économique -, assimile notre travail à l'herméneutique, à l'éthologie de la connaissance, à l'anthropolitique et à l'archéologie des savoirs qui sont des voies peut-être trop peu empruntées par la science économique.
La prospective, quant à elle, annoncée dans le sous-titre de notre travail est un concept qui pose d'autres problèmes et sans nul doute très ambitieux, même si l'axe éco-cultural lui autorise certains développements.
Ne peut-on un peu au moins scruter l'avenir à partir de la mémoire et de l'historicité, à la lumière d'une conception critique devant les menaces de tous ordres qui pèsent sur l'humanité concrète, sa condition et la nature même de son être futur.
L'anthropologie qui est une grande oubliée, redéfinie et élargie comme nous l'avons suggéré, sera sans doute au cœur des enjeux du prochain siècle, quant au devenir humain, si elle est cet horizon de savoir qui pense un homme unifié et conçu selon sa diversité identitaire, imaginale et ontologique.
Aucune branche du savoir plus que l'économie qui orchestre l'action transformatrice des hommes, leur praxis et leurs intérêts où se profile évidemment l'éthique, aucun discours plus que le sien n'a aujourd'hui plus avoir avec le devenir des sociétés, leurs options concrètes, mais aussi le patrimoine humain qui est aussi symbolique et les richesses sur lesquelles il repose.
Lier économie et culturalité, c'est remettre la première à sa place en tant qu'elle est un moyen et non pas seulement une fin en soi si l'homme est cet être qui peut aspirer à mieux qu'à produire toujours plus et dans la seule optique d'un matérialisme réducteur et parfois destructif ou de l'entropie civilisationnelle.
Si l'histoire est cette croisière exaltante et parfois tragique de l'humanité et l'économie son viatique, nous avons aussi voulu montrer que rien n'obligeait tous au même voyage.
* Ce travail a fait l'objet en 2001, d'une publication mentionnée dans la rubrique Livres.
Pourquoi fait-on des thèses ?
Il y a certes les filières, les cursus, le goût de la recherche, certainement les carrières, et bien sûr l'Institution.
Je voudrais introduire ici d'autres facteurs qui peuvent expliquer l'ambition ou même la singularité de certaines recherches qui en réalité, finissent, par ouvrir des chemins ou éclairer mieux encore ceux qui déjà existent..
Je pense par exemple, et toutes proportions gardées avec notre travail qui n'en a ni la portée ni sans doute le génie, aux thèses d'un F.Braudel avec sa " Méditerranée à l'époque de Philippe II " ou à celle de M.Foucault dans son " Histoire de la Folie à l'âge classique ", ou encore aux célèbres " Données immédiates de la conscience " d'un Bergson, auteur travaillé par moi sous la direction de V.Jankelévitch à la fin de ces années 70 où l'utopie d'un avenir différent s'était profilé.
Ces thèse, ou d'autres, sont faites à la fois d'analyse, d'érudition mais plus encore peut-être de l'intuition d'une idée forte, parfois unique mais essentielle, ou d'une vision d'ensemble qui se propose de contribuer au renouvellement d'une question ou aux avancées d'une discipline. Ce sont là les ingrédients, et certainement à chaque fois, en proportions diverses, leur réussite.
Aux précédentes motivations, il faut ajouter les avantages de la rigueur à observer, et certainement le cadre ordonné des règles et des exigences de la recherche.
J'ai trouvé dans cette université, à la fois par les hasards de la carrière qui m'en ont rapproché et à côté des motivations précédentes, celle d'un environnement peut-être plus libre qu'ailleurs, et sans doute l'accomplissement d'une tâche intellectuelle comme un peu prédestinée.
Ma propre recherche s'origine encore à deux facteurs complémentaires qui rejoignent sa nature et son mûrissement.
D'abord une formation universitaire polyvalente qui m' a fait parcourir le champ de la philosophie, en Sorbonne pendant six années jusqu'à l'agrégation, celui de la psychologie clinique et sociale à Paris 7 où j'obtins une licence et une maîtrise, un cursus ultérieur de DEA en théorie des Organisations à Paris 9.
Dauphine où un de mes deux mémoires majeurs avait pour intitulé : " L'idéologie : moteur ou frein du développement économique " et a reçu plus que l'aval de Mr. Hu Chen Ngao.
Puis-je ajouter que tout au long de mes années d'activités professionnelles multiples et de mes engagements au dehors, je n'ai cessé en parallèle avec l'étude, la recherche, et l'écriture aussi, obéissant là peut-être à une forme de vocation - dans le sens webérien qui sera développé tout à l'heure.
Sans doute aussi ce siècle dramatique qui va bientôt s 'achever, où les génocides voisinent avec les guerres, qui a vu l'impérialisme, la décolonisation et aujourd'hui l'entropie de la mondialisation avec une perte conséquente de tant de richesses culturelles et de symbolicité, appelle-t-il des pensées critiques, déconstructives, questionnantes et imaginatives qui doivent renouveler les approches.
L'anthropologie culturale et son versant historique constitue sans doute la discipline ou plutôt comme on verra la visée intellectuelle mais aussi éthique que j'ai toujours eu en vue dans ma réflexion, mes voyages - tout particulièrement en Asie du Sud Est, en Inde, en Iran ou en Afrique du Nord - ou dans d'autres recherches plus personnelles, en matière d'identité juive à la fois une et multiple comme on sait.
J'ai ainsi dans ce travail les disciplines, mais sans jamais perdre de vue l'unité d'un projet. Celui-ci a consisté à traiter d'un sujet au carrefour d'une dialectique essentielle mais finalement assez peu considérée en ses enjeux et sa profondeur, celle des liens organiques entre culture et économie.
L'étude du développement économique sous cet angle recoupe par ailleurs pour moi outre un itinéraire, une observation critique du monde de l'économie, de ses enjeux, de ses progrès, et de ses crises aujourd'hui, mais surtout le fait que l'économie joue de plus en plus le rôle d'un " discours-maître " auquel tous les autres devraient être assujettis.
La liberté du savoir et celle de la science voudraient discuter une telle hégémonie qui ne correspond ni au devenir souhaitable du monde en voie hélas d'homogénéisation ni a fortiori à la vérité bien plus complexe.
C'est ainsi que la pensée critique que j'ai développée en essayant de l'étayer, cherche ce rééquilibrage des savoirs vis à vis d'une science ( ou d'un discours) dont dépend le devenir humain, mais aussi la remise à sa place de l'acteur du savoir et de ses praxis sous-jacentes.
Une conception non dogmatique du savoir économique ne peut laisser aujourd'hui au dehors tant la genèse et la diversité de sa constitution que la question de sa forme, de ses enjeux et de ses finalités actuelles (souvent abstraites, paradoxalement dématérialisées, mondialisées et égoïstes) dont paradoxalement l'homme, parfois purement et simplement instrumentalisé, est de plus en plus exclu, comme personne et entité symbolique.
II. Le plan
La thèse est construite autour d'une progression en quatre moments qui chacun, tente de faire ressortir l'élément surdéterminant, de culturalité ou d'idéologie et parfois leur brassage, entrant en jeu dans la genèse du développement économique, son état présent et différencié, et son devenir.
- La 1ère partie présente les paradigmes idéologiques qui soutiennent depuis la fin du 18 ème siècle le développement économique techno-capitaliste, qu'il soit d'inspiration libéral et technocratique ou dirigiste et autoritaire. Saint-Simon et sa postérité d'un côté, Marx de l'autre. Le modèle occidental dans on essence identique y fait prévaloir la techno-science, la non limitation, le calcul rationnel et l'hégémonie d'un sur les autres.
- La 2ème partie étudie les théories culturalistes du développement dont Max Weber avait ouvert la voie. A l'émergence du capitalisme européen lié à la Réforme luthéro-calviniste et à ses effets, nous avons opposé l'émergence des capitalismes asiatiques et l'influence de leur corpus symbolique différents entre indianité, bouddhisme et confucéisme.
- La 3ème partie concerne l'Inde, la Chine et le Japon et essaye de vérifier les hypothèses envisagées dans les deux parties précédentes où elles convergent particulièrement.
La remise en cause du modèle webérien et l'efficace propre de corpus symboliques non-judéo-chrétiens y voisinent pour la Chine avec l'idéologie communiste, au Japon avec le métissage occidental, en Inde avec les séquelles fortes du colonialisme européen. Le concept de culturalité trouve là des points d'appui forts et constitue un facteur à part entière, dans les différentes dialectiques qu'ils entretient, comme moteur ou frein de développement.
- La dernière partie enfin est un essai d'élaboration d'un modèle à plusieurs variantes selon l'axe des spécificités civilisationnelles et culturales, en synergie ou en confrontation avec le paradigme occidental. L'approche anthropologique, dont aujourd'hui le discours écologique, environnemental et aussi les réalités géopolitiques rappelle la pertinence, est mise en avant comme perspective unifiante, seule à même de produire des dialogues et d'éviter des affrontements ou préserver d'une dérive vers une homogénéité appauvrissante ou agonistique.
III. Le projet et l'enjeu de la recherche
Je vais maintenant essayer, en termes plus techniques, de faire la synthèse de mon travail en termes de méthode et d'enjeux.
- Le projet a consisté à opérer un décloisonnement disciplinaire, en croisant des niveaux de réalité en général séparés (ou opposés) ou placés dans un lien univoque de déterminations ( des conditions matérielles vers les superstructures, comme l' enseigne le matérialisme historique).
- Il s'est agi de pratiquer une conception holistique de l'économie aujourd'hui parcélisée.
Les travaux d'économie les plus courants ne traitent que de variables limitées, de facteurs liés ou indépendants, en perdant de vue contexte, environnement global et systèmes.
Les théories et modèles économiques contemporains - du marché ou de l'équilibre général, de la rationalité standard ou limitée, de la régulation, ou de la théorie des jeux, laissent de côté des pans entiers du réel où ils baignent eux -mêmes et dont ils sont supposés rendre compte.
Imaginaire, symbolique et réalité, au même titre que dans la sphère psychique (ou de l'inconscient collectif), pourraient bien y avoir leur mot à dire.
C'est l'objet d'un des chapitres de la dernière partie.
- J'ai ensuite tenté d'effectuer un travail d'élucidation appelé " archéologique ", au sens de M.Foucault, sur l'axe de la genèse historique des processus de croissance/développement, et sur celui aussi plus structural (ou systémique) de la situation contemporaine.
Les deux polarités retenues soit Saint-Simon/Comte et Marx font converger paradoxalement vers une idéologie industrielle et productiviste du développement sans frein dont l'héritage se prolonge encore aujourd'hui.
La situation contemporaine a la mémoire courte, qui n'intègre pas les données mutationnelles récentes - dont celle de la décolonisation, des identités nationales, des impasses d'idéologies inadaptées - refoulées par un processus pervers d'homogénéisation...
Des continents entiers l'Afrique, l'Amérique latine mais aussi l'Asie ne peuvent être pensés et compris en dehors de leur histoire qui les voit subir, refuser ou intégrer certains apports de la matrice occidentale.
C'est de leur dialogue ou de leur capacité à s'en émanciper ou transmuter ces apports que se jouent leur avenir et leur développement.
- Je me suis proposé encore de renverser un certain nombre d'évidences reçues quant à la seule prégnance des culturalités occidentales vis à vis du développement économique (c'est la thèse wébérienne..) au moyen, en particulier, du contre-paradigme japonais.
Il aura fallu mettre à jour des causalités non apparentes liées aux corpus symboliques, entendus comme discours de référence identitaire et substance sociale sous-tendant les économies non-occidentales étudiées.
- L'idée de modèles différentiels de développement économique qui s'opposeraient à l'uniformité du concept de croissance économique défini par le seul ratio de la quantité a été avancé en contrepoint.
Le modèle occidental de développement économique fonctionne de façon systémique avec celui du sous-développement, " relativé " toujours à lui. Il fonctionne en déployant une rationalité de l'homogène, du calcul rationnel et de la non-limitation qui n'ont peut-être pas une validité ou une vocation universelles.
- Peut-être sommes-nous parvenus à rétablir le lien distendu, sinon coupé, entre l'économie (science humaine) et une anthropologie (science de l'homme) à repenser.
L'économie est-elle seulement un moyen ?
La couper de fins harmonisées, laissées au seul politique ou aux lois aveugles d'un marché qui a pris la proportion mondiale et où les jeux seraient déjà faits, relève d'une contre-rationalité dont l'histoire des peuples au 20 ème siècle a plus que pâti.
Ce lien doit-être rétabli dans une économie politique intégrant le discours des fins où la symbolique des nations et leur égale dignité ne doivent pas être sacrifiées, car elles sont aussi leurs richesses et parfois leurs moteurs.
IV. Les acquis de la recherche
Au terme de notre travail peut-être pouvons-nous mettre en avant un certain nombre d'acquis.
- Nous avons effectué la remise en cause partielle de la thèse wébérienne du développement du Capitalisme dans la seule aire culturalo-occidentale des pays de Réforme (Royaume-Uni, Hollande, Prusse, Etats-Unis d 'Amérique..).
En effet même si le maintien en tête des pays de culturalité profonde puritaine ou réformée (luthéro-calviniste) en particulier la Suisse, le Nord de l'Europe et les USA..), préserve une partie de la thèse webérienne, la croissance et les réussites économiques des pays d'Extrême-Orient plaident en faveur d'une causalité symbolique différente.
C'est celle des corpus indouistes, bouddhistes, confucéens et shintoïstes et de leur efficace qui ont été étudiés, à travers en particulier, les Textes fondateurs de ces civilisations - ce qui, sous cet angle et à cet source, est peut-être novateur.
- L'étude des corpus symboliques non-occidentaux dans leur relation plus ou moins favorable à la mentalité du développement économique été mise en oeuvre.
Nous avons montré à travers les trois monographies de l'Inde, de la Chine, du Japon que leurs symbolismes traditionnels ou spirituels religieux, qu'il s'agisse de l'Indouisme, du Bouddhisme, du Confucéisme- et de corpus parallèles tels que le Shinto ou le Zen japonais ou le Taoïsme chinois ne pouvaient pas ne pas influencer le système ethique et sociétal des pays étudiés.
Ainsi
* des valeurs d'organisation et de structuration telles que le holisme, à opposer à l'individualisme occidental;
* des valeurs psychologiques liées à la Tradition telles que la place donnée à la hiérarchie, au respect et à la place de la famille, au code de l'honneur ou plus profondément à la symbolique des rituels nous ont paru être des facteurs opératoires;
* des valeurs structurales telle que l'importance donnée aux principes de filiation dont par exemple le culte des ancêres généralisé en Asie ( et plus particulièrement dans l'univers chinois), nous ont paru contextuellement déterminants.
(Ainsi encore...)
* des valeurs éthiques à dominante collective issues de spiritualités que nous avons qualifié de " socio-transcendantales " en tant qu'elles privilégient une représentation immanente des comportements et des destins intra-mondains.
- Il nous semble être allés plus loin :
A partir du moment où le cœur de la machine occidentale du développement économique était celui de la techno-science et de ses réquisits vis à vis d'une conception de la nature sous-jacente et des principes de maîtrise de la matière, il nous est apparu que certaines métaphysiques sur lesquelles reposent les culturalités extrême-orientales étaient peut-être paradoxalement plus proches - ou comme nous avons dit, en synergie- avec les modalités d'un tel discours.
Celui-ci de la science est certes d'abord physico-mathématique mais s'articule à une cohérence qui n'est pas seulement hypothético-déductive mais méta-physique et pourrait-on dire phénoménologiquement spécifiée.
Les conceptions du temps, de l'espace, de l'énergie, les phénomènes de cycle, de transformation, d'évolution, de place de l'homme dans le cosmos, autant que de création ou de transformation prennent selon les culturalités une résonance différente.
Ce type d'affinités n'est pas forcément au désavantage des symbolicités extrêmes-orientales, sur le volet cette fois, d'une assimilation de la techno-science. Regardons du côté de la Corée, de Taiwan, du Japon, de Singapour et de certains de leurs prodiges technologiques...
On ne peut pas ne pas penser par ailleurs que la densité symbolique des culturalités abordées sous cet aspect, ne puisse infléchir une série de valeurs économiques dans le monde, créer une vocation et des pratiques spécifiques d'orientation des contextes économiques en cause.
- Ayant ainsi ouvert cette voie heuristique des mises en relation, des surdéterminations de l'économie par l'ethos cultural, il fallait ensuite produire la série des processus ou des mécanismes en jeu quant à leur efficace.
Prenant appui à la fois sur le précédent wébérien, la théorie freudienne de l'inconscient, l'anthropologie structurale lévi-straussienne, les concepts d'archéologie chez Foucault, d'herméneutique, de " surcode " ou de " phénomène social total " chez Mauss, nous en avons avancé trois principaux :
1) La profondeur historique, critère dont la pertinence caractèriserait la Chine;
2) La densité symbolique, dont l'Inde serait l'exemple type;
3) Le degré de mutabilité, dont le Japon offre une parfaite mise en oeuvre.
Dans l'ordre d'autres processus opératoires, le concept " d'assignation ", ré-élaboré à partir de celui de beruf wébérien, nous a permis de formaliser un processus originaire apparu comme encore plus fondamental.
Toute substance culturale répondant aux critères précédents d'efficacité (ou de simple prégnance) détermine une manière d'être au monde, une position du groupe, de l'individu et de leurs relations mutuelles qui influencent les comportements, les motivations, les choix, le degré de liberté, la marge d'autonomie et les limites (ou non) de l'action concrète.
Plus particulièrement la dialectique entre individu et ensemble social, prend à la lumière de notre concept d'assignation, quand il est par ailleurs rapporté au corpus fondateur des cultures symboliques, une importance essentielle.
Nous avons ici recoupé la pertinence des travaux de L.Dumont en les amplifiant.
Outre les culturalités indouiste, bouddhique et confucéennes, et dans le prolongement de cette méthode, on a essayé de montrer aussi ce qu'il en était de l'Islam où fonctionne pleinement ce concept d'assignation.
L'univers de la catholicité, celui du judaïsme, quant à leurs effets induits en termes d'ethos, de pragmatique sociale, d'axiologie et par voie de conséquences de comportements économiques, ont été aussi abordés, pour conforter le modèle.
Les travaux d'un économiste comme Morio Morishima vont dans un tel sens, nous les avons utilisés.
- Si l'économie est (ou devrait être) un des volets matérialistes d'une anthropologie, cette dernière qui en est (ou devrait être) la source et la fin, ne pourra faire plus longtemps abstraction de ce à quoi elle destine l'homme.
La différencialité culturale ou au contraire sa proximité d'avec celle du modèle de référence occidental prend ici le poids d'un enjeu civilisationnel et politique de taille, comme les travaux récents de S.Huntington " sur le choc des civilisations ", largement cité aussi, le montrent.
- Le phénomène de mimesis, repéré aussi et parfois massif, ne doit pas faire illusion quant aux mécanismes de la réussite économique. L'adhésion substantielle des nations à leur identité et la manière dont elles investissent les enjeux économiques et les processus en cause ne peuvent être occultés et sont autant efficaces. La notion de jeu, plus profonde car ancrée dans une potentialité anthropo-culturale a été ici développée.
Nous avons emprunté ici à Huizinga, Winnicott ou Axelos...
- L'occidentalité, aujourd'hui en voie de mondialisation et de dominance, est apparue aussi comme un des mode d'assignation dont l'individualisme, la célébration de l'homme divinisé, la rationalité érigée en idéal aux côtés de la subjectivité sans limite, ne cessent pas depuis Descartes ou Bacon de proposer et de mettre en oeuvre la domination du monde et de la matière par l'homme.
La réussite technique de ce dernier modèle se heurte à son faible degré de symbolicité, à la crise qu'il ouvre quand il est poussé à ses limites et à laquelle parfois l'Islam, par exemple, lui répond en contrepoint, dans le sursaut de son intégrisme, ou les " mondes-tiers ", comme nous les avons désignés, par leur exclusion ou leur reconquête insidieuse.
La mondialisation, la globalisation, la nouvelle configuration des relations entre les nations ou les aires civilisationnelles sont à l'ordre du jour.
On ne peut plus les penser dans l'abstraction formelle des modèles d'explication unique et vidés de leur substance culturale qui fait qu'ils sont ce qu'ils sont.
L'universalité mise en avant par la maîtrise occidentale se heurte aux effets destructeurs de l'homogénéisation, dont toute la question sera de savoir si elle est nécessaire, contingente ou à repenser selon d'autres critères.
Seule une anthropologie élargie ou, comme dit E.Morin, une anthropolitique devrait être à même au prochain siècle de préserver les équilibres et aspirer comme un idéal à une meilleure harmonie.
Conclusion
L'ampleur de mon sujet était son risque.
La méthode choisie, les voies de la recherche et en particulier le croisement des grilles d'analyses comme celui des niveaux de réalité, la recherche de liaisons non apparentes, d'influences occultées, de ce qu'on pourrait appeler -
pourquoi pas, l'inconscient économique -, assimile notre travail à l'herméneutique, à l'éthologie de la connaissance, à l'anthropolitique et à l'archéologie des savoirs qui sont des voies peut-être trop peu empruntées par la science économique.
La prospective, quant à elle, annoncée dans le sous-titre de notre travail est un concept qui pose d'autres problèmes et sans nul doute très ambitieux, même si l'axe éco-cultural lui autorise certains développements.
Ne peut-on un peu au moins scruter l'avenir à partir de la mémoire et de l'historicité, à la lumière d'une conception critique devant les menaces de tous ordres qui pèsent sur l'humanité concrète, sa condition et la nature même de son être futur.
L'anthropologie qui est une grande oubliée, redéfinie et élargie comme nous l'avons suggéré, sera sans doute au cœur des enjeux du prochain siècle, quant au devenir humain, si elle est cet horizon de savoir qui pense un homme unifié et conçu selon sa diversité identitaire, imaginale et ontologique.
Aucune branche du savoir plus que l'économie qui orchestre l'action transformatrice des hommes, leur praxis et leurs intérêts où se profile évidemment l'éthique, aucun discours plus que le sien n'a aujourd'hui plus avoir avec le devenir des sociétés, leurs options concrètes, mais aussi le patrimoine humain qui est aussi symbolique et les richesses sur lesquelles il repose.
Lier économie et culturalité, c'est remettre la première à sa place en tant qu'elle est un moyen et non pas seulement une fin en soi si l'homme est cet être qui peut aspirer à mieux qu'à produire toujours plus et dans la seule optique d'un matérialisme réducteur et parfois destructif ou de l'entropie civilisationnelle.
Si l'histoire est cette croisière exaltante et parfois tragique de l'humanité et l'économie son viatique, nous avons aussi voulu montrer que rien n'obligeait tous au même voyage.
* Ce travail a fait l'objet en 2001, d'une publication mentionnée dans la rubrique Livres.